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284 | Janvier 2018La vie communautaire
« Au commencement était la Parole, et la Parole était auprès de Dieu et la Parole était Dieu. Elle était au commencement auprès de Dieu. Tout fut par elle, et rien ne fut sans elle. »
(Jean 1.1-3)
Au commencement…
Le Nouveau Testament nous révèle que, dès les origines, il y avait l’union, la tendresse et la vitalité du Dieu Père, Fils (ou Parole) et Esprit. Le fondement de toute réalité a son origine en Dieu qui est unité et communion.
Or ce fondement sublime contraste avec d’autres visions du monde.
« Au commencement était la Matière », disent les athées et les matérialistes. Selon eux, la vie se réduit à un jeu de molécules qui s’assemblent pour un temps, puis se séparent. Pour eux, le sens de la vie, c’est d’obtenir le plus de joies matérielles avant de mourir. Au nom de cette vision du monde, des matérialistes marxistes ou des matérialistes capitalistes ont pu faire beaucoup de dégâts. Et ils continuent à en faire. Pour acquérir le plus de biens matériels, tout est permis. Ou presque. Et tant pis si, pour arriver à ses fins, il faut détruire la vie d’autres êtres humains, par la lutte politique ou économique.
« Au commencement était un Être unique, seul et qui n’a pas engendré de Vis-à-Vis » disent les musulmans. Selon eux, la vie c’est la soumission de chacun à cet Être unique. Pour eux, le sens de la vie, c’est de former une Communauté unique, soumise à ce Dieu unique révélé par le Coran, rédigé par un prophète unique. Au nom de cette vision du monde, des croyants musulmans ont pu faire beaucoup de dégâts. Et ils continuent à en faire. Pour que toute la Terre soit soumise à ce Dieu unique, tout est permis. Ou presque. Et tant pis s’il faut utiliser les armes (Mohammed l’a enseigné) ou l’argent (taxes à payer) pour obliger les musulmans qui pensent autrement (sunnites ou chiites) ou les non-musulmans (juifs, chrétiens ou païens) à se soumettre ou à se convertir.
Au commencement était le Dieu Amour
Le fondement de la Bible est tout autre. « Au commencement était le Dieu Amour qui est Vie et Communion » témoignent les chrétiens. La Source originelle, le Père, a engendré de toute éternité un Vis-à-Vis, le Fils, et tous les deux sont éternellement unis par une Présence libre et aimante, l’Esprit. Dans le Dieu Tri-unité, l’Un n’est jamais sans un Autre et l’Un ne vit que pour l’Autre. Ce Dieu a choisi de se révéler par la Bible qui honore une grande diversité d’auteurs, unis dans un même Esprit. Pour les chrétiens, le sens de la vie, c’est la communion de chacun et de tous avec le Dieu Communion. Les chrétiens ont pu faire beaucoup de mal à d’autres. Et parfois, ils continuent à en faire. Mais cela arrive chaque fois qu’ils sont infidèles au Dieu Vivant, Père, Fils et Esprit, qui aime les différences et qui invite à la communion.
En ce Dieu Communion, la dynamique « identités-différences-relations » constitue le fondement même de la Vie. Les communautés humaines aspirent à vivre des relations de respect mutuel et d’harmonie dans lesquelles les uns et les autres vivraient les uns pour les autres. Ces aspirations reflètent l’identité profonde des êtres humains que le Dieu trinitaire a créés à son image.
Or la réalité historique, quotidienne et concrète, jusque dans les Églises, est bien différente.
Le prodigieux et le perturbé
La première communauté humaine, nous dit la Bible, c’est le couple formé d’un homme et d’une femme, prodigieusement créés à l’image de Dieu. Cette première relation faite d’émerveillement et de grâce, d’union et de différences, est très vite perturbée par une puissance de méfiance et de mort (Genèse 1-3). Et lorsque cette première communauté devient une famille par l’engendrement de deux enfants, le prodigieux et le perturbé sont emmêlés, un des fils allant jusqu’à tuer l’autre (Genèse 4). Le projet de vie communautaire espéré par Dieu tourne au désastre. Au lieu de vivre les uns pour les autres, les humains vont vivre les uns contre les autres. Aux antipodes de la volonté de Dieu, l’homme dominera la femme et le fils haïra son frère.
La ville sera la première communauté humaine élargie. En elle la vie et la violence ne vont cesser de se déployer et de se répandre (Genèse 4. 17-24). Affligé, Dieu voudra mettre fin à cette puissance de mort en suscitant de nouveaux commencements avec Noé et son arche (Genèse 6), Abraham et sa descendance (Genèse 12), puis Moïse et le peuple libéré de l’esclavage en Égypte (livre de l’Exode). Ce peuple, formé de douze tribus, ne cessera de retourner à l’idolâtrie et les prophètes l’appelleront inlassablement à revenir au Dieu vivant.
Les textes fondateurs de la Bible enseignent que toute vie communautaire (couple, famille, ville, peuple) est ambivalente, prodigieuse et perturbée. Et que seule une transformation intérieure par l’Esprit de Dieu peut venir la pacifier.
La paix et la contestation prophétique
La naissance de Jésus a eu lieu dans un contexte de vie communautaire perturbée. La famille qui l’accueille est déstabilisée par sa naissance hors norme. La communauté juive dans laquelle il est élevé souffre de la domination par l’occupant romain et de divisions internes. C’est au cœur de cette société perturbée que Jésus va créer un nouveau modèle de vie communautaire qui va révolutionner le monde.
Jésus commence par appeler un groupe de douze disciples et, parmi eux, il fera découvrir de nouvelles manières d’être ensemble.
« Le plus grand parmi vous sera votre serviteur. » (Matthieu 23.11)
Par l’amour manifesté à ses disciples et aux personnes rencontrées durant son ministère, Jésus établit un nouveau standard de vie.
« Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres ; comme je vous ai aimés, ainsi aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jean 13.34)
Or l’amour partagé par Jésus est un amour reçu. Il trouve son origine dans l’amour donné par le Père. Au cœur de la communauté humaine, Jésus fait découvrir l’amour de la communauté divine.
« Comme m’a aimé le Père, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. » (Jean 15.9)
L’amour donné par Jésus est à la fois source de paix et de protestation. De paix, car Jésus offre sa propre présence pacifiée enracinée dans la confiance (Jean 14.1 ; 20.19). De protestation, car la famille humaine est contestée quand elle se limite à chercher son propre intérêt au lieu de suivre la volonté du Père qui aime les bons et les méchants (Matthieu 5.45 et 12.50). L’Évangile vient contester toute famille, Église ou société dans laquelle des discriminations selon le sexe, l’âge ou les ethnies viennent les diviser.
La paix offerte par Jésus n’est pas comparable à celle donnée par le « monde », à savoir une paix fluctuante et passagère.
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre. » (Jean 14.27)
Diverses formes de vie communautaire chrétienne
Comme l’a affirmé le pasteur D. Bonhoeffer dans son livre De la vie communautaire : « Communauté chrétienne signifie : communauté en Jésus-Christ et par Jésus-Christ ».
Le Christ lui-même a privilégié la vie en petits groupes. L’essentiel de son temps, il l’a passé avec ses douze disciples qu’il formera et enverra en mission (Matthieu 10.1s). Et parmi les douze (symbole de la totalité du peuple de Dieu), il privilégiera la relation avec trois d’entre eux : Pierre, Jacques et Jean (Marc 5.37 ; Matthieu 17.1 ; 26.37). Parmi ses disciples, l’un d’entre eux est même présenté comme « celui que Jésus aimait » (Jean 13.23 ; 19.26 ; 20.2). Jamais nommé dans les Evangiles, la tradition l’a le plus souvent identifié à l’apôtre Jean. Une promesse particulière est faite par Jésus à ceux qui prient en petits groupes :
« Où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, là je suis eux au milieu d’eux. » (Matthieu 18.20)
Le Christ a aussi formé un groupe de disciples plus nombreux : celui des septante ou des septante-deux (Luc 10.1). Et régulièrement il s’est adressé aux foules. Sa vision était large : que toutes les nations deviennent des disciples (Matthieu 28.20).
Après la résurrection de Jésus, les visages de la vie communautaire furent multiples : le groupe de disciples élargi (Actes 1.12-14), les cent vingt (Actes 1.15), les trois mille nouveaux disciples (Actes 2.41). La vie des premiers chrétiens se passait dans les maisons où le pain était rompu, et sur le parvis du temple de Jérusalem où les prières étaient célébrées et les enseignements donnés. L’Eglise qui s’est implantée dans de nouvelles contrées s’est d’abord réunie dans des maisons particulières (Romains 16.5, 23 ; 1 Corinthiens 16.19). Ce n’est que plus tard que des bâtiments spécifiques furent construits.
Lorsque, durant les siècles qui ont suivi, la vie des Églises s’est structurée et alourdie, ce sont des nouvelles formes de vie communautaire, en particulier les monastères, qui ont attesté tout à nouveau de la paix et de la protestation transmises par le Christ.
Vers une vie communautaire renouvelée
Dans nos sociétés modernes, stressantes et hyper individualisées (en Occident), l’anonymat souvent présent dans les Églises traditionnelles peut être un facteur supplémentaire de rejet. Les Églises chrétiennes qui connaissent une croissance quantitative allient généralement des célébrations dynamiques dans lesquelles toutes les générations se retrouvent et des formes de vie communautaire (groupes de prière, communautés de maison, camps familles, retraites) dans lesquelles des groupes de chrétiens apprennent à se connaître, à partager leurs joies et leurs peines, à se soutenir mutuellement par la prière et une aide concrète.
Alors que la plupart des monastères en Occident voient leurs effectifs vieillir et diminuer, des communautés comme Taizé ou Bose, à la fois œcuméniques et transgénérationnelles, continuent d’attirer une large audience. Le renouveau charismatique a aussi suscité, dans toutes les confessions chrétiennes, de nouvelles communautés dynamiques.
Les chrétiens ont la responsabilité de renouveler la vie communautaire (en couple, en famille, en Église, dans la société). En imaginant et en vivant, par l’Esprit saint, des formes de vie qui reflètent la Communion en Dieu qui articule amour et justice, respect de l’unité et de la diversité.
La vie communautaire est une joie et une difficulté. Et cela parce qu’elle rassemble des êtres prodigieux et perturbés. L’expérience de la « déception » est inévitable. Mais c’est à partir de ces crises que de nouveaux départs sont possibles. Surtout si elles permettent de communier plus intensément aux souffrances et à la puissance de Vie du Christ et de son Corps (Philippiens 3.10 ; 2 Corinthiens 1.7) et de laisser plus de place à la paix profonde et à la protestation vivifiante dont le Dieu trinitaire est la source.
Questions à méditer ou à partager en groupes
- Quelle est votre expérience de la vie communautaire (en couple, en famille, en Église, en société) ? Est-elle plutôt une joie ou une difficulté ?
- Comment un approfondissement de l’expérience de Dieu comme Communion (union et diversité) peut-elle changer ma/notre vie communautaire ?
- À la suite de Jésus, qui sont les « 1, 3, 12, 70 personnes » que je suis appelé à aimer en particulier?
- À quels changements concrets le Seigneur nous appelle-t-il dans notre vie communautaire ?