Le Lien des cellules de prière

251 | Octobre 2009

Quand des Réformateurs de l'Eglise prient

En complément du premier article, nous donnons un extrait d’un excellent ouvrage du pasteur Jacques Blandenier intitulé : « Martin Luther et Jean Calvin : Contrastes et ressemblances » (édition « Je Sème, Excelsis »). Ces lignes sont tirées du chap. 8, en rapport avec la prière. Auparavant quelques lignes d’introduction : Dans les débuts du 16e siècle, le moine allemand Martin Luther, était tourmenté par la recherche d’une justice divine qui donnerait aux pécheurs comme lui, la ferme assurance d’être sauvés, assurance que tous ses efforts religieux et moraux ne lui donnaient pas. A une période donnée, en méditant l'épître aux Romains, il reçut une révélation décisive qui le libéra dans la joie : celle du don gratuit de Dieu à saisir sur la seule base de la foi en Jésus, Sauveur et Seigneur. Peu après ce tournant, il publia des thèses en vue de réformer la pratique et la théologie de l’Eglise d’alors qui en avait le plus urgent besoin. Les autorités toutespuissantes de l’Empire germanique et de la curie romaine (qui dominaient l’Europe d’alors) en eurent connaissance et convoquèrent Luther à Worms, avec le mandat de s’expliquer sur ses déclarations publiques demandant des réformes de fond. Malgré un sauf-conduit de l’Empereur, Luther risquait sa vie en s’y rendant. En effet, un prédécesseur, Jean Hus de Bohème, avait été condamné un siècle plus tôt et brûlé vif malgré un tel sauf-conduit. Le réformateur s’y rendit néanmoins !
Luther, lors de sa comparution à Worms devant les grands de l’Empire (avril 1521), avait paru tout d’abord hésitant et intimidé, demandant un délai de réflexion de 24 heures (pressé qu’il était par des conseillers politiques qui voulaient tenter de trouver un compromis avec l’empereur). Le lendemain pourtant, il se tint devant ses juges, ferme comme un roc dans son refus de renier ses convictions fondées sur la Parole de Dieu. Dans la nuit qui sépare ces deux comparutions, il a connu un combat ardent, dans une prière mise par écrit qu’il est impossible de lire sans émotion — sachant aussi qu’elle a été pleinement exaucée. Mieux qu’un exposé théorique, elle illustre ce que signifiait la prière pour Martin Luther :

O Seigneur Dieu tout puissant ! Quelle chose c’est donc que le monde ! Comme il force les lèvres des hommes ! Comme leur confiance en Dieu est petite ! Que la chair est faible ! Que le diable est puissant ! Combien il travaille par ses émissaires et les sages de ce monde !

Le monde marche dans le large chemin où s’en vont les impies, et il n’a d’yeux que pour ce qui est grand, puissant, magnifique. Si je regarde de ce côté-là, c’en est fait de moi ! ( )Ah Dieu Ah Dieu ! ô mon Dieu ! mon Dieu ! Tiens-toi près de moi contre la raison et la sagesse du monde. Fais-le, fais-le seul. Tu dois le faire ! Ce n’est point ma cause, c’est la tienne. Qu’est-ce que ma personne ici ? Qu’ai-je à faire, moi, avec ces grands seigneurs du monde ? Que n’ai-je aussi des jours tranquilles, sans trouble ? C’est ta cause, Seigneur, ta cause juste, éternelle. Soutiens-moi ô Dieu fidèle, éternel ! Je ne m’appuie sur aucun homme. Tout cela n’est que vanité ; tout ce qui est chair est chair, et tombe. O Dieu ! ô Dieu ! N’entends-tu pas ? Mon Dieu es-tu mort ? Non tu ne peux pas mourir ; tu te caches seulement. Ne m’as-tu pas choisi ? N’est-il pas vrai que jamais de ma vie, je n’aurais pensé à m’élever contre de si puissants seigneurs ?

Ah Dieu, viens à mon aide au nom de ton cher Fils Jésus-Christ, ma force, mon bouclier ; fortifie-moi par ton Saint-Esprit ! Seigneur, où te tiens-tu ? Mon Dieu, où es-tu ? Viens ! viens ! Je suis prêt à y laisser ma vie comme un agneau. Car cette cause est juste et je ne veux pas me séparer de Toi pour l’éternité. Que cela soit décidé en ton nom ; le monde ne pourra pourtant pas forcer ma conscience, quand même il serait plein de diables. Et si mon corps, ta création, l’ouvrage de tes mains, doit tomber en ruine, mon âme est à toi ; elle t’appartient, elle demeurera éternellement à toi. Amen. Ô Dieu soutiens-moi, Amen !
(Cité par Georges Casalis dans « Luther et l’Eglise confessante »).

Le pasteur Casalis fait suivre cette prière par une anecdote significative : « Dans toute la vie de prière de Luther, on retrouve cette familiarité étonnante avec Dieu qui n’a rien de vulgaire ou de blasphématoire, car elle est le fait des très grandes âmes, de celles qui se sont tellement ‘frottées à Dieu’qu’elles savent de quoi elles parlent : alors que son ami Melanchton est malade à la mort, Luther s’enferme dans sa chambre et passe toute la nuit en prière, suppliant Dieu de ne pas lui ôter cet indispensable prochain. Sortant de la chambre au petit matin, le malade étant hors de danger, Luther, épuisé mais triomphant s’écrie pourtant vers le ciel : ‘il a bien fallu que le Seigneur m’écoutât. Je lui ai jeté le sac devant sa porte, je lui ai frotté les oreilles avec toutes ses promesses d’exaucement. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il m’écoute pour que j’y croie encore.’ […] Quoi qu’on en pense, la fantastique activité d’un Luther n’est possible que par la mise en oeuvre d’immenses richesses spirituelles auxquelles seule la prière […] donne accès ».

Luther a aussi affirmé, montrant par là qu’il n’était pas un triomphaliste systématique : si ce que nous voulons n’advient pas, adviendra cependant ce qui est le meilleur.

Le docteur Luther savait être très simple pour enseigner aux humbles quand il dit : Le matin, en te levant, sanctifie-toi par le signe de croix et dit : au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Puis debout ou à genoux, tu diras le Credo (le symbole des apôtres) ou l’Oraison dominicale (le Notre Père). Si tu le désires, tu peux joindre cette prière :
« je te rends grâce ô mon Père céleste, par Jésus-Christ ton Fils bien-aimé, de ce que tu m’as gardé de tout mal pendant la nuit qui vient de finir. Je te prie de me préserver encore pendant cette journée de tout mal et de tout péché, afin que ma conduite et toute ma vie te soient agréables. Je remets entre tes mains, mon corps, mon âme et tout ce que je possède. Que ton saint ange me garde et que Satan n’ait aucun pouvoir sur moi. » Puis rends-toi joyeusement à ton travail après avoir, par exemple chanté un cantique ou récité les commandements ou en poursuivant ta méditation.

Il dit encore, dans son « Traité à mon coiffeur » (1534) :

Je m’en tiens, d’une façon aussi précise que possible au sens de ces paroles (il s’agit de celles du Notre Père). Il m’arrive souvent de m’étendre tellement sur une demande de la prière du Seigneur que je néglige les six autres demandes. Quand tant de bonnes pensées nous viennent, il faut laisser le champ libre à ces pensées, les écouter en silence et à aucun prix ne les entraver, car c’est le Saint-Esprit lui-même qui parle dans ce cas. Et une seule de ces paroles vaut infiniment plus que mille prières que nous pourrions formuler. Souvent j’ai appris plus de choses dans une prière que n’auraient pu m’enseigner des lectures et des méditations abondantes.

Citons pour terminer quelques mots de Calvin, dans les tournures modernisées du français de son époque :
Bien que sachant tout d’avance et n’ayant besoin de rien, le Seigneur a voulu cependant que nous le priions : premièrement afin que notre coeur soit enflammé d’un ardent et véhément désir de le toujours chercher, aimer et honorer, en ce que nous accoutumions d’avoir toujours en lui notre refuge ( ) Davantage : afin que nous soyons préparés à recevoir ses bienfaits avec une entière reconnaissance car par la prière nous sommes avertis qu’ils nous viennent de sa main. En outre, afin qu’ayant obtenu ce que nous demandions, nous réputions qu’il a exaucé nos désirs et que, par là, nous soyons plus instamment incités à méditer sa bienveillance ( )

Ne pas invoquer et prier Dieu alors que nous savons qu’Il est le Seigneur, que tous nos biens viennent de Lui et qu’il nous convie à demander ce qu’il nous faut, c’est comme si quelqu’un, sachant qu’un trésor est enfoui dans une terre, le laissait par indifférence, sans prendre la peine de le déterrer.

C’est pourquoi Calvin encourage en premier lieu de ne pas prier sans avoir commencé par se repentir : la prière bien réglée requiert la repentance. C’est une doctrine fort commune dans l’Ecriture que Dieu n’exauce point les injustes […]. Mais avec plus d’insistance encore, il encourage les croyants à s’appuyer sur les promesses de l’exaucement. Le croyant tient ferme, comme à deux mains, cette assurance d’obtenir ce que nous demandons […] ; c’est un fruit inestimable des promesses de Dieu que de Lui pouvoir adresser requêtes, non point en doutes et tremblement, mais qu’étant munis et armés de sa Parole, nous l’osions invoquer Père, puisqu’il nous suggère ce nom tout aimable, sans la saveur duquel sa Majesté nous épouvanterait.


Prière de Saint Jean de la Croix
Homme de prière et théologien espagnol du 16e siècle
Que Jésus soit en votre coeur !
Puisque vous ne me dites rien,
moi je veux vous dire quelque chose, à savoir
Que vous ne donniez plus prise à ces vaines craintes
qui vous mettent dans le découragement.
Laissez à Dieu ce que vous lui avez donné
et ce que vous lui donnez chaque jour.
On dirait que vous voulez mesurer Dieu à votre capacité ;
il ne doit pas en être ainsi.
Préparez-vous à la grande grâce que Dieu veut vous accorder.
 

Prière connue d’un réformateur moral catholique du 12e siècle,
Saint François d’Assise
Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix.
Là où il y la haine, que je mette l’Amour,
Là où il y a l’offense, que je mette le Pardon,
Là où il y a la discorde, que je mette l’Union,
Là où il y a l’erreur, que je mette la Vérité,
Là où il y a le doute, que je mette la Foi,
Là où il y a le désespoir, que je mette l’Espérance,
Là où il y a les ténèbres, que je mette la Lumière,
Là où il y a la tristesse, que je mette la Joie
Fais, Seigneur, que je ne cherche pas tant d’être consolé que de consoler ;
D’être compris que de comprendre ;
d’être aimé que d’aimer,
Parce que c’est en donnant que l’on reçoit ;
C’est en s’oubliant que l’on se trouve ;
c’est en pardonnant que l’on obtient le pardon ;
C’est en mourant que l’on ressuscite à l’éternelle Vie.
Ainsi soit-il.