Le Lien des cellules de prière

305 | Avril 2023

Faites fructifier vos dons!

En 1990, une année après la mort de Ceausescu, un collègue roumain est venu à Lausanne se former quelques mois dans le service de chirurgie vitréorétinienne. Dès son retour à Bucarest, il s’est démené pour mettre sur pied un plateau technique et commencer à faire des vitrectomies1. Mais les infirmières en salle d’opération trouvaient que ces opérations duraient trop longtemps et elles décidèrent de saboter son travail en vidant les bonbonnes de gaz utilisées pour faire fonctionner ses appareils. Plusieurs de ses instruments furent volés, à tel point qu’il dût se résoudre à les mettre sous clé dans son bureau entre deux opérations.

Son histoire n’était pas isolée: dès que quelqu’un sortait du lot en développant de nouvelles compétences, les autres se chargeaient de lui taper sur la tête pour le faire rentrer dans le rang. L’important était que tous soient égaux. Cette manière de faire, issue de décennies de communisme et de dictature, a marqué la société et freiné considérablement son développement.

La Bible nous donne un enseignement très différent. Nous avons tous reçu des dons et nous avons le devoir de les faire fructifier, pour nous-mêmes, pour notre famille, pour l’Église et pour la société tout entière. Ce devoir est souligné par Jésus dans la fameuse parabole des talents (Matthieu 25.14-30): trois serviteurs doivent faire fructifier les talents2 que leur maître leur a confiés.

Ces talents ne sont pas répartis de manière égale : le premier en reçoit cinq, le deuxième deux et le troisième un.

D’un point de vue symbolique, ces talents représentent les dons naturels et spirituels que le Seigneur a fait à chacun de ses serviteurs. L’important n’est pas le nombre de dons reçus, mais bien ce que nous en faisons. Souvenons-nous de cette parole de Jésus:

«On demandera beaucoup à qui l’on a beaucoup donné, et on exigera davantage de celui à qui l’on a beaucoup confié » Luc 12.48.

Mais voilà! La mise en valeur de nos dons peut être freinée et même stoppée pour différentes raisons que nous allons envisager ici. Je vous propose de parler tout d’abord de ce qui concerne l’Église, puis ensuite la Société.

Dans l’Église

Prendre conscience de ses dons

Généralement, nous avons conscience de nos dons. Cependant, cette conscience peut être insuffisante et certains dons peuvent ainsi rester cachés et inexploités. Comme c’est dommage!

Demandons au Seigneur de nous aider à discerner les dons qu’il nous a faits, à nous en réjouir pleinement et à les exploiter au maximum ! Ce processus peut prendre du temps et certains dons peuvent n’être révélés que plus tard dans la vie. Personnellement, c’est à l’âge de 50 ans que j’ai compris que j’avais un don pour l’écriture et la vulgarisation de sujets théologiques compliqués.

Heureusement, certaines personnes savent discerner chez les autres leurs véritables dons et les encourager à les mettre en valeur.

Ce ministère est très précieux! Nous devrions d’ailleurs tous y participer d’une manière ou d’une autre, car c’est tellement important que chaque membre de l’Église puisse faire fructifier ses dons et les mettre au service de tous. Encourager les autres est précieux, et c’est si facile !

La crainte

Faire fructifier les dons que Dieu nous a accordés peut nous conduire à prendre des responsabilités qui font peur, à marcher dans des chemins difficiles et expérimenter une certaine solitude. Craignant de s’engager dans de telles voies, des chrétiens préfèrent enfouir leurs dons et ne surtout pas les montrer. Bien des prophètes dans l’Ancien Testament ont expérimenté cette peur et il a fallu que Dieu les bouscule pour qu’ils s’engagent. Je pense à Moïse, qui refusait d’aller parler à Pharaon parce qu’il se disait bègue. Gédéon se trouvait trop petit et faible pour délivrer son peuple de l’assaillant. Jonas ne voulait pas paraître ridicule en annonçant la destruction de Ninive. De grands prophètes, tels Jérémie, Ézéchiel, craignaient d’annoncer au peuple un message qui risquait de très mal passer. Mais puisque Dieu donne ce qu’il ordonne, il est possible de compter sur son aide dans l’exercice de nos dons. C’est le combat de la foi ! Nous pouvons compter sur la sagesse de Dieu pour qu’elle transforme notre intelligence afin que nous comprenions vraiment quels sont ses plans pour nous.

La convoitise

Convoiter les dons des autres est le meilleur moyen de ne pas faire fructifier ceux que l’on a reçus! Agir ainsi, c’est mépriser Dieu qui nous a fait ces dons; c’est refuser de lui obéir.

L’apôtre Paul décrivait très bien cette situation dans sa première épître aux Corinthiens (chap. 12). Rien ne va plus si, dans le corps, le pied veut être une main ou l’oreille veut devenir un œil. Paul admet que tous les organes n’ont pas la même importance, mais ils ont tous de la valeur aux yeux de Dieu. Aucun organe ne peut prétendre être le corps à lui tout seul. Aucun organe n’a le droit de s’enorgueillir de sa position et de sa visibilité, au mépris des autres. Paul le dit de façon très subtile (v. 22-25) : «Bien plus, les parties du corps qui paraissent les plus faibles sont indispensables; celles que nous estimons le moins, nous les entourons de plus de soin que les autres; celles dont il est indécent de parler sont traitées avec des égards particuliers qu’il n’est pas nécessaire d’accorder aux parties plus convenables de notre corps. Dieu a disposé le corps de manière à donner plus d’honneur aux parties qui en manquent: ainsi, il n’y a pas de division dans le corps, mais les différentes parties ont toutes un égal souci les unes des autres ».

Dans l’Église, beaucoup de chrétiens travaillent dans l’ombre et peu de gens voient réellement ce qu’ils font. Je pense à ceux qui ont un ministère de prière et qui passent des heures seuls dans leur chambre. Personne ne les voit, à part Dieu; leur rôle est fondamental. Je pense à ceux qui participent à l’administration de l’Église, à ceux qui enseignent les enfants, à ceux qui font la cuisine lors de rencontres, etc. La liste est longue de tous ceux qui œuvrent dans l’Église sans que la majorité des fidèles ait conscience de leur travail.

J’ai vu beaucoup de chrétiens se dévouer sans compter pendant de nombreuses années et souffrir de ne pas être reconnus pour ce qu’ils font. Et finalement apparaissent en eux non seulement une amertume qui est malsaine, mais aussi le désir de vouloir tout arrêter et de convoiter les dons que tous voient, reconnaissent et louent. C’est notre devoir à tous de les encourager et de les valider dans les fonctions que le Seigneur leur a attribuées.

Apprenons à nous réjouir des dons que Dieu nous a faits, faisons-les fructifier à sa gloire et réjouissons-nous aussi des dons faits aux autres. C’est ainsi que le corps peut pleinement se développer, ce qui sera profitable pour chacun.

La jalousie

La convoitise peut conduire à la jalousie, ce sentiment hostile envers ceux qui possèdent un don que l’on n’a pas et que l’on aimerait peut-être avoir. Cette hostilité peut revêtir toutes sortes de formes, qui ont en commun la volonté de rabaisser l’autre. L’exemple de mon collègue roumain en est un. On ne veut pas être dépassé par quelqu’un de plus doué, de plus brillant, de plus capable. On lui tape dessus pour le rabaisser à son niveau. Une telle attitude est contraire à la volonté de Dieu et ne peut amener que la destruction.

Jalouser les dons des autres montre que l’on n’a pas compris les dons que Dieu nous a faits et le chemin dans lequel il nous conduit. Il ne nous appartient pas d’interférer dans les plans que le Seigneur a établis pour nos frères et sœurs dans la foi. Il est libre d’accorder des dons comme il l’entend aux uns et aux autres. Certains reçoivent plus, d’autres moins, ce n’est pas notre problème. Notre responsabilité est de reconnaître leurs dons, et de faire fructifier les nôtres en suivant cet appel du Seigneur: toi, suis-moi.3

La jalousie est un très bon indicateur de l’état spirituel d’un chrétien. Plus ce dernier est mature spirituellement, plus il saura se contenter de ce qu’il a reçu et s’en réjouir pleinement. À tel point qu’il n’aura aucune envie de jalouser les autres; cela ne lui viendra même pas à l’idée. Il ne cherchera pas à avoir plus que ce qu’il possède, ni à avoir moins. Il sera heureux du chemin sur lequel il marche avec le Seigneur.

Ce contentement intérieur est un signe important qui confirme que le chrétien se trouve au bon endroit dans le Royaume de Dieu et qu’il marche sur le bon chemin, dans la bonne direction.

La dictature

Jésus reprochait aux religieux de son temps de ne pas entrer eux-mêmes dans le Royaume des cieux et de ne pas laisser entrer ceux qui le voulaient (Matthieu 23.13). On pourrait voir quelques similitudes entre cette attitude et celle de certains responsables d’Églises, despotes autoritaires et orgueilleux qui verrouillent l’exercice normal des dons au sein de la communauté pour se mettre en avant et tout contrôler. Ce n’est pas ainsi que l’Église, le corps de Christ, fonctionne !

Paul eut fort à faire pour remettre à leur place ces personnages ambitieux qui voulaient manipuler à leur profit les membres les plus faibles de la communauté. Ses épîtres en témoignent, notamment celles aux Corinthiens.

Ne laissons pas des chrétiens prendre le pouvoir dans la communauté. Le seul qui possède un pouvoir, c’est le Christ4. Si les chrétiens ont reçu des dons, c’est pour les mettre au service des autres. S’ils ont été mis à des postes de responsabilité, c’est pour servir les autres. L’autorité que le Seigneur nous demande d’exercer n’est pas un pouvoir, mais un service. C’est très différent!

Dans la société

Le Seigneur nous demande d’avoir la même attitude dans la société. C’est ainsi que les chrétiens deviennent sel de la terre et lumière du monde5. Le sens de la responsabilité individuelle et le désir de mettre leurs dons au service de la société ont conduit beaucoup de chrétiens à s’impliquer profondément dans la société occidentale et à mettre sur pied un système de gouvernement inspiré des valeurs judéo-chrétiennes et des ordonnances de l’Ancien Testament, notamment la représentativité des différentes parties du peuple au gouvernement. Ils n’ont pas voulu se démettre de leurs responsabilités au profit de l’État, et se sont engagés en tant que citoyens. Ils ont fait fructifier leurs dons et les ont mis au service de la communauté civile. C’est ainsi qu’ils ont joué un rôle considérable dans l’établissement de la démocratie.

La démocratie n’est pas un système parfait puisqu’elle ne fait que refléter l’état moral et spirituel des citoyens. Elle fonctionne bien lorsqu’une part importante des citoyens soutient les valeurs chrétiennes par une vie spirituelle authentique. Elle décline en cas contraire. Malheureusement, aujourd’hui, on peut se poser beaucoup de questions sur l’état de santé de nos démocraties, qui manifestement cherchent à s’affranchir de l’Évangile. Quel mauvais choix! Car l’Évangile ne nous conduit nullement dans l’esclavage, mais au contraire il nous mène vers la liberté et la vie. Pourquoi donc le rejeter?

Même si une telle évolution est décourageante, ne baissons pas les bras ! Continuons à vivre dans la société selon les valeurs que le Christ nous a enseignées ! Continuons d’être sel et lumière!

Notes:

1 : Opération intraoculaire délicate concernant le corps vitré et la rétine au fond de l’œil.

2 : Pièces de monnaie utilisées dans l’Empire grec, sous Alexandre.

3 : Jean 21.22

4 : Matthieu 28.18: Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre.

5 : Matthieu 5.13-14